La fourchette, des origines à nos assiettes
La légende veut que Henri III et Catherine de Médicis aient introduit l’usage de la fourchette dans l’aristocratie française pour éviter de salir les lourdes « fraises » que ses membres arboraient, mais ses origines sont bien antérieures. Où est née la fourchette et comment est-elle parvenue jusqu’à nous ? Pourquoi la fourchette s’est-elle ensuite démocratisée jusqu’à devenir un incontournable de toute ménagère qui se respecte ? Enfin à quoi ressemble aujourd’hui ce couvert de choix et comment l’utilise-t-on en bonne société ? Retour sur un ustensile irremplaçable des tables et des repas de France.
I) Les lointaines origines de la fourchette
Les premiers modèles de fourchette de table apparaissent, à partir du Ier siècle de notre ère, dans l’Empire romain, surtout en Gaule, mais également en Italie et au Proche-Orient. L’archéologie nous a livré de très belles pièces à deux ou trois dents, mais aucun texte ni aucune image n’éclaire l’usage qui en est fait. On peut imaginer que les riches Romains, mangeant couchés, s’en servent de la main droite pour piquer dans certains aliments durs prédécoupés.
La fourchette disparaît ensuite mystérieusement au Vème siècle d’Europe, au moment de la chute de Rome, pour apparaître en Perse, dans l’Empire sassanide. Il ne s’agit d’ailleurs pas forcément d’un héritage de la civilisation romaine, car l’ustensile revêt une forme tout à fait originale, avec un manche qui se termine par un demi-cercle qui sert de base à de longues dents rapprochées.
La conquête musulmane de l’empire perse conduit par la suite à l’abandon de la fourchette en Iran, car cet objet n’est pas utilisé par les Arabes. Et c’est à cette époque qu’elle progresse vers l’Ouest, dans l’Empire byzantin.
C’est d’abord dans les magnifiques églises de Cappadoce qu’au Xème siècle, on trouve des scènes montrant Jésus et les apôtres, utilisant des fourchettes.
On est donc certain, à ce moment-là de l’usage de la fourchette individuelle de table, utilisée en position assise.
L’ustensile traverse ensuite tout l’empire byzantin pour arriver au XIème siècle dans le sud de l’Italie.
II) Hygiène alimentaire et démocratisation de la fourchette
L’histoire dit que la fourchette a été ramenée en France par Henri III et Catherine de Médicis, en 1574, juste après leur voyage à Venise, pour éviter de salir l’immense collerette qu’ils arborent, mais son utilisation est déjà attestée à la cour de François Ier.
Cette fourchette, on l’utilise pour piquer et porter des aliments à la bouche. Elle n’est donc plus cet ustensile à usage collectif qui permet de passer les aliments du plat général à sa propre place, sans empêcher de manger avec ses doigts.
Dès le départ, la modification de l’usage de la fourchette répond à une considération hygiénique, mais qui ne correspond pas à celle de notre époque.Elle est d’abord diffusée par la haute sphère de la société de la Renaissance.
Mais elle reste alors un objet d’apparat, d’ornementation, chargé de faire ressortir tout le prestige et la puissance d’une maisonnée et d’impressionner les convives. C’est un objet de caste, raison pour laquelle nombre de personnes l’ont d’abord refusée, à commencer par tous les opposants d’Henri III.
Il est néanmoins tout à fait clair que l’usage de la fourchette s’est intensifié en France à la fin du XVIème et au début du XVIIème siècle. Et c’est dès lors que ces couverts-spatules deviennent courants dans les élites au XVIIIème siècle qu’il a fallu que la cuisine et le rapport à la nourriture fassent leur révolution et que cet usage se démocratise à l’ensemble de la population, que les classes les plus populaires en aient aussi l’usage.
C’est ainsi seulement à cette époque que la cuisine s’invente véritablement dans les classes bourgeoises et populaires. C’est aussi à ce moment que notre rapport à la nourriture change : tout d’un coup, il devient grossier de prendre la nourriture avec les doigts et la fourchette acquiert le statut de véritable critère de civilisation. Au XIXème siècle, on prétend même qu’elle est indispensable au plaisir gastronomique alors que presque personne ne l’utilisait trois siècles auparavant.
III) La fourchette aujourd’hui
Aujourd’hui, la fourchette est un couvert de table ou un ustensile de cuisine permettant d’attraper les aliments, sans les toucher directement avec les doigts.
Si une fourchette est une petite fourche et ne possédait souvent que deux piques, elle est, de nos jours, de plus en plus souvent garnie de quatre extrémités pointues. Le folklore veut que les deux dents seules rappelaient trop la fourche du diable ou encore sa queue fourchue. La modification tient probablement plus de la praticité : il a été décidé de doubler le nombre de pointes pour éviter que la nourriture glisse.
Une fourchette est néanmoins toujours constituée de deux à quatre extrémités pointues, en fonction de l’usage, et d’un manche pour être tenue aisément. Elle est faite d’une seule pièce ou sertie dans le manche. Elle peut être en métal, en bois, en plastique, en corne ou dans d’autres matériaux, et parfois jetable.
Pour le dressage de la table, la fourchette peut être posée « à la française » ou « à l’anglaise ». En France, on place habituellement la fourchette pointes vers le bas. Cet usage date de la Renaissance, quand les personnes de la haute société faisaient graver leurs armoiries sur le dos du manche pour impressionner les convives. En Angleterre, les fourchettes se posent pointes vers le haut, car les armoiries anglaises étaient gravées sur la face du manche de ces couverts.
La fourchette se place à gauche de l’assiette, car nous sommes, dans notre grande majorité, droitiers. Quand on coupe des aliments dans son assiette, on manie le couteau avec la main directrice, celle qui a le plus de force et de précision, la main droite.
Les fourchettes se placent enfin dans l’ordre du menu, de l’extérieur pour le premier plat servi vers l’assiette pour le dernier plat proposé.
En conclusion, si la fourchette fait indubitablement partie aujourd’hui de notre quotidien et s’il ne viendrait plus à personne l’idée de manger avec ses doigts, il est bon de se souvenir que l’usage de cet ustensile incontesté n’est apparu dans les élites qu’à la Renaissance et ne s’est ensuite imposé à la bourgeoisie et aux classes populaires qu’au XVIIIème siècle. Cette généralisation répondait à des impératifs hygiénistes qui s’accompagnèrent d’une révolution de la cuisine et du rapport à la nourriture. Et la fourchette est aujourd’hui un couvert utile, souvent garni de quatre extrémités pointues pour mieux piquer les aliments, et dont l’usage est très codifié pour un meilleur respect de l’hygiène alimentaire.
