Les francs-mâchons

Société philanthropique pour la défense et l’encouragement de la tradition du mâchon, créée en 1964

 

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La Saint-Cochon, une fête des campagnes françaises

En février, dans les campagnes françaises, on tue le cochon. La Saint-Cochon est une fête et illustre le côté pile du symbole ambivalent que représente le divin suidé, le gentil petit cochon rose contre le vilain porc qui se nourrit d’ordures.

I) Le déroulement de la fête

Tout commence par l’élevage et l’engraissement du cochon de l’année qui loge dans la grange. Chaque famille possède le sien, nourri des reliefs des repas. Chacun invite ses amis et ses voisins et tous se déplacent de maison en maison pour un mois de cochonnailles.

La veille, on aiguise les couteaux, on ressort de la cave le chaudron en cuivre, la chaudière aujourd’hui. On nettoie les ustensiles et les bocaux qui se retrouveront ensuite dans la souillarde avec les saucisses, les légumes et champignons de l’année.

Le jour J, tout le monde est fin prêt et chacun a son rôle : les femmes dans la cuisine, pour les conserves et les repas ; les hommes dans la grange, pour tuer l’animal et le débiter. Tout se mange et tout se transforme : le sang est conservé pour le boudin. Les boyaux sont lavés, pour la saucisse et les andouilles.

Les pieds et les oreilles sont le déjeuner du jour. Les cuisses et les épaules sont précieusement désossées, pour le jambon. Les côtes sont découpées. Les poumons et les abats sont hâchés, pour les pâtés. Les poils deviendront des brosses ; la graisse du saindoux ; les tendons des cordes d’instrument. Il ne restera rien. Chaque famille a sa recette. On transpire et on travaille, en cuisine comme à la grange.

Au fil de la journée, de nouvelles décorations ornent le grenier : enroulées autour de longs bâtons de bois, les saucisses sont mises à sécher au plafond. Le jambon, salé, est emmailloté dans un torchon. Les saucisses fraîches sont placées, pour l’été, dans des faitouts de terre cuite remplis de graisse. Les conserves sont stérilisées et rangées à la cave, le boudin est cuit, les fritons mijotent dans la marmite.

C’est la Saint-Cochon. Elle peut être célébrée directement dans les fermes ou lors de fêtes villageoises.

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II) La fête du joyeux compagnon

Dès l’aube, on prépare sur la place du village le petit déjeuner cochonnaille, constitué d’œufs au lard et de saucisson. Tout au long de la journée, musique de rue et fête communale animent la bourgade. La Saint-Cochon efface la vilenie du porc ; on aime le cochon, mais on déteste le porc. Car le suidé a toujours joui ou pâtit d’un statut ambivalent : selon des propos attribués par Alexandre Dumas à l’écrivain et gastronome Grimod de la Reynière, il serait « le roi des animaux immondes ».

D’un côté, le porc est sale et symbolise la gloutonnerie et l’immoralité.

Des auteurs médiévaux observent que le cochon fouille toujours le sol, signe d’un grand péché : ce qui se passe au ciel ne l’intéresse pas,  donc il se détourne de Dieu. Au XVIème siècle, il devient aussi, en remplacement du chien, l’animal qui mange n’importe quoi, y compris des immondices, ce qui conforte sa réputation d’impureté. 

Le porc est donc souvent l’incarnation du mal, il évoque une menace. En fait, il fait peur car nous nous reconnaissons en lui, il est souvent perçu comme le double de l’homme. À l’intérieur des organismes, c’est tout pareil. C’est d’ailleurs pourquoi on retire toutes sortes de produits médicaux du suidé, l’insuline, des morceaux de peau, les glandes surrénales… On sait greffer des organes porcins sur l’homme. Les tabous que soulèvent le symbole cochon proviendraient, au moins en partie, de ce cousinage biologique.

Mais il existe aussi, et depuis toujours, une face positive du cochon, l’image du petit cochon rose qui est un joyeux compagnon, celle que fête la Saint-Cochon.

Il y a d’abord la sympathie, presque instinctive, de l’enfant pour le porc. La légende de Saint-Nicolas nous parle de l’enfant changé en cochon ; on peut garder les cochons plus jeunes que les bovins à la ferme ; on mange des friandises en forme de cochon.

De plus, la truie est une mère féconde qui force l’admiration par ses portées nombreuses et représente le symbole de la fécondité.

Dans les campagnes, le porc représentait aussi un bon investissement à moyen terme, une valeur sûre. L’élevage d’un ou deux porcs dans chaque famille a toujours été l’assurance d’améliorer une alimentation souvent frugale. De plus, le cochon a toujours été une source de revenus importante pour les éleveurs qui ont tout intérêt à prendre soin de leurs bêtes et à les engraisser jour après jour pour qu’elles se portent bien. Car le jour où ils tuent le cochon, la vente de sa viande et de son gras est plus rentable.

D’ailleurs l’issue fatale a été reprise symboliquement dans les premières tirelires anglaises en céramique et en porcelaine, qu’il fallait briser pour pouvoir en récupérer le contenu. Aujourd’hui, elles sont munies d’un capuchon, mais ce n’est pas pour rien que le cochon reste une forme emblématique et universelle de la tirelire.

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Aujourd’hui, l’importance pécuniaire du cochon pour les familles paysannes s’est bien évidemment considérablement réduite. Et la Saint-Cochon est moins contrainte qu’auparavant par les impératifs sanitaires : autrefois cantonnée aux mois d’hiver, elle se déroule maintenant tout au long de l’année. La fête la plus importante se déroule sans conteste à Besse, dans le Puy-de-Dôme, à la mi-janvier, avec des concerts, du théâtre, une fanfare, des concours et des repas du terroir. Et, à la mi-juillet, Junhac fête le porc de montagne et sont dégustés porcelets farcis, jambons braisés et tripoux, au milieu des animations pour enfants, des ventes de produits régionaux, des tiercés et foires aux cochons. 
Et je ne parlerai pas de la Saint-Cochon organisée par la confrérie au mois de mars au cours de laquelle un car permet aux convives de fêter le divin suidé chez un vigneron du Beaujolais, mais les initiés m’auront compris.

Tête de cochon
Plat