L'histoire
Un jour, le petit groupe de Javogues, comme jadis les Amis des Halles, décida de se constituer en amicale de gueule pour étendre ses activités à des cabarets nouveaux. Le siège fut fixé chez l’ « Ami Georges” 8, rue du Garet, qui sélectionne le chiroubles le montagnieu et le mâcon tandis que Lucienne, sa cuisinière d’épouse prépare chaque jour comme pas une, les saladiers lyonnais, sans préjudice du gras-double et autres recettes de tradition locale.
Le premier président des Francs-Mâchons lyonnais fut le truculent M. Boucher dont le nez s’adornait alors telle une profession de foi bachique, d une rubiconde et majestueuse ” fraise vineuse “. Cet ornement nasal égalait, paraît-il, celui, fameux de Monsieur de Posquière qui fonda, au XVIIe siècle à Villeneuve-lès-Avignon, ” l’Ordre de la Boisson ” Louis Javogues, promoteur des Francs-Mâchons, fut élu président après M. Boucher, mais un mal pernicieux devait, hélas ! l’arracher à ses nombreuses amitiés.
Aujourd’hui, c’est Maurice Pierrefeu qui occupe cette fonction délicate et honorifique, et s’il ne possède point le nez épanoui du premier président, il arbore un visage fleuri qui laisse bien augurer de ses compétences à humer le pot.
Les Francs-Mâchons se réunissent chaque mois dans un lieu différent, à Lyon pendant la saison froide. en banlieue aux temps chauds.
Après chacune de leurs agapes, les membres de l’association votent sur la qualité de la chère et celle des beaujolais et des mâconnais qui l’escortent. Si le patron de la bonne enseigne atteint la majorité des suffrages, il reçoit le diplôme des Francs-Mâchons joliment illustré par des imagiers tels qu’Aldebert, Gad, Rick Gursat, Carlotti, Roger Sam…
La vitalité des Francs-Mâchons ne se limite pas à leur réunion mensuelle mais à la recherche quotidienne d’un plat inédit et d’un bistrot inconnu. Tout cela sans préjudice d’expéditions boulistes en Dauphiné ou vineuses en Beaujolais.
Jaloux de cette réussite quelques bons gones exilés à Paris ont décidé, voilà bientôt un lustre, de créer la filiale parisienne des Francs-Mâchons. La règle en est identique et réunit, chaque mois, à 9 heures du matin les ” Mâchons parisiens ” devant le plat plantureux d’une maison réputée pour la qualité de ses beaujolais.
Un des plus représentatifs présidents de la ” loge parisienne fut notre ami Jean Herbert, authentique gone de Vaise, ancien secrétaire général du théâtre des Célestins à Lyon et maintenant propriétaire à Montmartre du Théâtre des Deux-Anes.
Jean Herbert est le sosie de Laurent Mourguet, père de Guignol, qui sculpta à son image le visage de la fameuse marionnette. Tout un programme !
La gastronomie et la joie de vivre étant perpétuellement en évolution à Lyon de nouvelles associations de bonne compagnie s’y sont heureusement constituées depuis la dernière guerre.
Le mâchon : définition
Nom masculin.
Désigne à Lyon le repas matinal convivial autour d’un plat chaud et souvent d’un fromage pris par des personnes unies par l’amitié ou des pratiques professionnelles.
Servi le matin, ce repas chaud réunit traditionnellement des convives ayant commencé très tôt leur activité. Il puise son origine au 19e siècle, dans la pause en matinée des canuts et marchands-fabricants de la soie et de leurs partenaires.
La tradition du mâchon, malmenée par les nouvelles organisations du travail, est maintenue depuis 1964 par les Francs Mâchons qui décernent chaque année un diplôme au(x) restaurateur(s) qui accueille(nt) régulièrement dans l’excellence des convives dès 9 heures du matin.
Le diplôme
Citations
Bruno BENOIT – Sur un coin de table, le mâchon lyonnais – Revue Autrement – 2001
« Le mâchon lyonnais est la messe matinale des vrais gones. On y rompt le pain et on y boit le vin comme à l’office. Au-delà de la métaphore religieuse, le mâchon date du XIXe siècle, lorsque le monde de la soie, canuts ou marchands-fabricants, faisait une pause dans la matinée pour étancher la soif et couper la faim. Dans le mâchon se mêlent le réchauffé et les cochonnailles, le tout arrosé de pots de beaujolais. Il scelle la rencontre car, à Lyon, on ne se connaît pas tant qu’on n’a pas mangé ensemble. »
Frédéric DARD
Lorsque le premier café a chassé le dernier sommeil et que l’avant-premier vin blanc a aiguisé le nouvel appétit, le corps et l’âme pleinement disponibles sont en idéal état de “mange”. C’est l’instant du plat cuisiné, du vin fruité, de l’amitié que nulle fatigue n’affaiblit. L’heure où l’on boit doucement pour faire naître la soif sans gâcher la faim. L’heure où le soleil se lève sur les lumineux visages des Francs-Mâchons et leur dégouline dans le coeur via le gosier. Alors, à ce moment béni, capiteux, capital, les Francs-Mâchons savent que si Dieu n’existe pas, il fait en tout cas rudement bien semblant….
Henry CLOS-JOUVE
A Lyon, le café-crème “commence au jambonneau”, avait décrété ce bon expert en gueule Marcel-E. Grancher quand il présidait “Les Amis des Halles” qui fut la plus spectaculaire association mâchonnique entre les deux dernières guerres à Lyon. Ces apôtres de la cuisine matinale se déplaçaient aux beaux jours dans la campagne circonvoisine pour “taper” la boule en saucissonnant sous des tonnelles pimpantes devant des pots de beaujolais frais.
Ce petit groupement autour de Louis Javogues, comme jadis Les Amis des Halles de Grancher, décida de se constituer en amicale de gueule sous l’appellation éloquente : “Les Francs-Mâchons”. Le “Mâchon inaugural” eut lieu le samedi 6 décembre 1964 dans le bistrot légendaire de Georges Drebet.
Les Francs-Mâchons de Lyon se réunissent chaque mois dans un bistrot de Lyon, s’essayent à des découvertes gourmandes et, après une sévère délibération, délivrent au patron, pour la double qualité de sa cuisine et de ses vins, un superbe diplôme joliment imagé par Aldebert, Carlotti, Gad, Rik Cursat, Roger Sam.”
Charles EXBRAYAT
Je dois avouer que lorsque je suis assis dans un bouchon de Myrelingues, entouré de mes bons et chers Francs-Mâchons dont les visages – dans l’euphorie de ces réunions où l’affection tient autant de place que la bonne chère et les bonnes bouteilles – retrouvent la pureté de l’enfance perdue, je me répète mélancoliquement cet aphorisme du grand philosophe de la Croix-Rousse, Catherin Bugnard : “C’est mal d’arriver à la fin de sa vie juste au moment où on commence à savoir vivre”.
FélixBENOIT et Henry CLOS-JOUVE (La cuisine Lyonnaise)
Autour de Louis Javogues se constitua, évidemment serviette au cou, un petit groupe de braves gens, bons biberons et bons mangeurs.
L’hiver, ils se retrouvaient quotidiennement devant la cuisine matinale de Madame Barbet et, ils se déplaçaient pour « taper » la boule au bord du Rhône en saucissonnant sous les tonnelles pimpantes du carillon Champêtre, à Saint-clair.